
Aujourd’hui, on va parler de Niki de Saint Phalle, que nous allons tout de suite appeler NSP car vraiment, mais alors vraiment, j’ai pas que ça à foutre d’écrire Niki de Saint Phalle pendant tout l’article.
Ceci étant dit, heureusement qu’elle a changé de nom car à l’origine NSP s’appelait Catherine-Marie Agnès Fal de Saint Phalle.
Je passe là-dessus car je suis excédée.
Passons directement à la fiche ‘Pas que ça à foutre’, on va pas perdre de temps.
Ah si, quand même, perdons un peu de temps, pourquoi étudions-nous NSP cette fois-ci ?
Figurez-vous que ma vie est passionnante et que l’autre jour j’ai assisté à une conférence chez Sotheby’s (parfois ma supérieure hiérarchique me force à sortir de chez moi), et à part m’être demandée ce qui se passerait si je prenais le manteau de quelqu’un d’autre au vestiaire en repartant, j’ai aussi entendu parler de Niki. Son nom était associé à pas mal d’autres noms qu’APPAREMENT, il faudrait que je connaisse, genre Jean Tinguely, Antoni Gaudí, Robert Rauschenberg…
Sans plus attendre…
Ah oui, et je n’ai pas volé de manteau finalement.
La fiche ‘Pas que ça à foutre’

Niki de Saint Phalle
Née en 1930 à Neuilly, France
Décédée en 2002, à 71 ans, en Californie
Franco-américaine
Sculptrice, peintre, réalisatrice.
Surtout connue pour ses sculptures monumentales de gonzesses en couleurs.

Le point enchères
TOP 1

Niki de Saint Phalle, Nana danseuse noire, c. 1968
Polyester, 224 x 60 x 139 cm
Vendue chez Artcurial à Paris en 2015 pour 800 000 euros
© Artcurial
TOP 2

Niki de Saint Phalle, Ana Lena en Grèce, 1965-1967
Polyester, 270 cm
Vendue chez Sotheby’s New-York en 2006 pour 778 000 euros.
© Artnet
TOP 3

Niki de Saint Phalle, Nana, Brunnenfigur.
Céramique, verre et polyester, 260cm
Vendue à la maison de vente Lempertz, à Cologne, en 2008 pour 750 000 euros.
© Lempertz
Quand ta vie commence mal
NSP est née à Neuilly, son père était le Comte André-Marie Fal de Saint Phalle, dont l’acronyme n’était pas CAMFDSP (c’est faux), c’était un banquier français absolument détestable, sa mère était américaine et très méchante, elle s’appelait Jeanne Jacqueline Harper.
NSP a 4 frères et soeurs.
Au niveau de l’ambiance, sachez qu’elle est mauvaise.
Déjà, NSP est née un an après le Black Tuesday, à ne pas confondre avec le Black Friday, qui devient maintenant la Black Week, pendant les Middle Season Sales et .. Bref, le Black Tuesday, c’est le Mardi Noir comme on nous l’a appris au lycée, c’est-à-dire que c’est le début d’une importante crise économique en 1929, un ‘crack boursier’ comme dirait le loup de Wall Street.

On rappelle que le père est banquier, donc ça sent mauvais pour l’inscription à la crèche privée de Neuilly cette affaire. Les parents déménagent dans la banlieue de New-York et laissent NSP dans la Nièvre, dans le centre de la France.
Je vous laisse le temps de digérer ces infos.
Néanmoins, en 1933, NSP les rejoint dans le Connecticut puis ils déménagent ensemble dans l’Upper East Side, à New-York. A partir de ce moment, NSP prendre le surnom de Niki, mais pas dans cet article car je trouve que NSP ça fait classe.
T’as cru que ça allait s’améliorer ?
N’y pense même pas.
NSP va dans une école catholique privée, comme on les aime, contre laquelle elle va naturellement violemment se rebeller.
Sa mère avait, pour ainsi dire, un caractère de merde et de surcroît, elle était violente.
Deux des frères et soeurs de NSP vont faire des tentatives de suicide. Par dessus tout ça, son père l’a abusé sexuellement à partir de ses 11 ans.
Bref, on est sur un début de vie chaotique.
NSP retourne souvent en France, elle parle couramment le français et l’anglais. Premier point positif de l’article.
Là-dessus, s’enchaîne le guide du Routard des écoles, NSP se fait virer de chaque école où elle fout les pieds. Elle ne se formalise pas et devient mannequin, parce que finalement, pourquoi s’emmerder ?
Elle va donc faire la couverture de plusieurs grands magazines : Life en septembre 1949, Vogue France en 1952 et apparait dans Elle et Harper’s Bazaar.


La vie d’adulte, la vie de saltimbanque
A 18 ans, NSP se marie avec Harry Mathews, qu’elle a rencontré quand elle avait 11 ans, grâce à son père. Déjà, dans cette phrase, il n’y a rien qui va. Sans jugement. Mais quand même, y’a rien qui va.
Et la suite n’est pas convaincante non plus : les deux loustics se marient à l’église, et ça ne plait pas à la belle famille de NSP, et vas-y que ça coupe les vivres du coup, et vas-y que les deux jeunes mariés sont obligés de voler leur bouffe dans les magasins (true story)…
Là-dessus, le couple déménage dans le Massachusetts pour que Harry étudie la musique à l’Université. Riche idée quand on n’a pas un rond : étudier la musique.
Je ne sais pas si on sent l’ironie dans mes propos.
NSP commence à peindre, elle prend aussi des cours d’acting.
Encore un couple de saltimbanques donc.
Deux années plus tard, comme si ça ne suffisait pas, leur premier enfant né en avril 1951.
Comment ça c’est pas une mauvaise nouvelle ?
Oui, bon.
L’année suivante, ils re-re-re-re-déménagent à Paris. Et là bonne nouvelle : un héritage chez Harry (cynisme puissance 1000).
Vous allez me dire :
‘Pour une ancienne rebelle, NSP s’est bien assagie, elle se marie jeune, devient mère jeune et reste bien tranquille à la maison.’
Et vous avez bien raison. Mais rassurez-vous, ça ne va pas durer.
En 1953, les deux vont voir ailleurs, NSP pète un câble, elle prend un maximum de médocs, cache des lames de rasoirs sous les matelas, dans une ambiance chaleureuse et soyeuse. Là-dessus, elle part à l’hôpital psychiatrique, où elle reçoit un traitement naturel et structurant : des chocs électriques et des chocs d’insuline. J’espère qu’on ressent l’ironie poussée à son maximum.
Pendant son séjour à l’hosto, elle crée un maximum d’oeuvres, et elle est libérée quelques semaines plus tard.
Son mari reprend les choses en main, il arrête de se consacrer à la musique. Il se consacre donc à l’écriture d’un roman.
Bah oui.
Parce que c’est connu, l’écriture ça rapporte.
IRONIE again and again.
J’en profite pour vous dire que NSP est une des premières artistes n’ayant pas de formation artistique abordées ici. Comme quoi, avec deux-trois bouts de ficelles…
On cause, on cause, mais mine de rien, on voit toujours pas ce qu’elle sait faire de ses dix doigts la Niki. Donc vous êtes bien mignons, mais on va passer à la suite.
Les créations de NSP
En 1954, la famille déménage en Espagne. Le deuxième enfant du couple naît. NSP découvre Gaudí.
Antoni Gaudí (1852-1926) est un architecte espagnol, qui a fait quelques petites choses à Barcelone :

Parc Güell, par Antoni Gaudí

Casa Batlló, à Barcelone, par Antoni Gaudí
Pendant une dizaine d’années, la famille vit en mode troubadour à travers la France et l’Europe.
En 1956, NSP voit ses oeuvres d’art au style naïf exposées pour la première fois, en Suisse, un bien beau pays.
L’art naïf – selon Vikidia, l’encyclopédie de 8-13 ans, dont la définition devrait aussi convenir au plus de 13 ans, ou au moins de 8 ans – c’est le courant artistique des peintres naïfs. Ils peignent des tableaux qui font penser à des dessins d’enfants, sans respecter les perspectives, les dimensions, l’intensité de la couleur ou la précision du dessin. Sous-estimées au départ, les oeuvres attachées à ce courant font maintenant partie des plus grandes collections d’art.
Un des représentants de l’art naïf est le peintre Henri Rousseau (1844-1910):

Henri Rousseau, Exotic Landscape, 1908
NSP rencontre Jean Tinguely, un peintre, sculpteur et dessinateur suisse. Il est né en 1925 à Fribourg et décédé en 1991 à Berne, les deux en Suisse.
Il fait des choses comme ça :

Jean Tinguely, Méta-mécanique, 1955
© Museum Tinguely

Jean Tinguely, Sculpture méta-mécanique automobile, 1954
© Kultur-online

Jean Tinguely et NSP, Le cyclope, 1986
© Museum Tinguely
En 1959, NSP découvre de nouveaux artistes :

Yves Klein (1928-1962), un artiste français avant-gardiste, qui aime beaucoup le bleu.
Vénus bleue S41, 69 × 27 × 19 cm

Marcel Duchamp, dont on a parlé ici .
Fontaine, 1917

Robert Rauschenberg (1925-2008), un artiste plasticien américain.
Collection, 1954/1955;
Oil, paper, fabric, wood, and metal on canvas, 203 x 243 x 8 cm

Jackson Pollock (1912-1956) dont on parle ici.
Convergence, 1952
Toutes ces oeuvres d’avant-garde vont beaucoup l’inspirer et la faire réagir: elle change de technique, elle abandonne la peinture à l’huile pour la gouache et la laque, elle fait des assemblages.
A partir des années 1960, les gamins sont grands, enfin ils ont 9 et 5 ans, donc elle peut se consacrer pleinement à son art. Et accessoirement, elle se sépare de son mari, d’un commun accord, il prend les deux gosses et ciao. Ils se verront de temps en temps par la suite. Pas plus que ça quoi. Vous voyez quoi. Voilà.
Là-dessus, on ne perd pas de temps, NSP emménage avec Jean Tinguely, dont on a parlé tout à l’heure. Le couple s’en fout plein la gueule à longueur de temps, ça va voir ailleurs de tous les côtés, ça bouffe à tous les râteliers, mais que voulez-vous… les artistes…
NSP est souvent exposée au Modern Museum de Stockholm, puis au Centre Georges Pompidou à Paris, elle connait le directeur du musée – c’est la même personne – ce qui aide, on ne va pas se mentir.
Niveau créations artistiques, voici un petit florilège :
→ Série Tirs (1961-1963)

Niki de Saint Phalle, Grand tir, 1961

Niki, en train de tirer partout.

Des gens qui tirent partout, 1961

Niki de Saint Phalle, En joue ! Tirs et Assemblages, 1958-1964
Niki de Saint Phalle, Saint-Sébastien, 1961 :

Niki de Saint Phalle, Assemblage (Figure with Dartboard Head), 1962 :

Plus tard, elle va commencer à foutre des trucs sympas dans ses oeuvres : on part sur de la lame, du rasoir, des ciseaux, des bras de poupées et autres joyeusetés. On reste donc sur le champ lexical du glauque, du mauvais moment, de l’angoisse et du repas de Noël.
Ces créations violentes vont la classer dans la catégorie des avant-gardistes. Elle fait des happenings, comme tout bon artiste d’avant-garde qui se respecte. En gros, tout le monde tire sur tout et n’importe quoi, on fait ça dans les musées, dans les galeries et dans tout autre espace où une performance est la bienvenue, genre pas chez moi par exemple.
NSP expose tout ça à New-York, à Los Angeles… Toujours pareil, elle invite le public à tirer sur ses créations.

Niki de Saint Phalle, King Kong, 1964
Cette oeuvre marque sa transition vers ses séries suivantes, composées d’animaux louches, d’animaux normaux et de femmes. On retrouvera pendant toute sa carrière des représentations de serpents, d’oiseaux et de dragons.
→ Les animaux louches :

Niki de Saint Phalle, L’arbre de vie, 1974

Niki de Saint Phalle, L’oiseau amoureux, 2000

Niki de Saint Phalle, Sun god, 1981-1982

NSP, Sphinx, 1989
NSP et Tinguely achètent l’Auberge du Cheval Blanc, un ancien hôtel à Soisy-sur-Ecole, une commune connue de tous dans l’Essone, à côté de Paris.
→ Les nanas :
Quand on parle de NSP, on pense tout de suite aux nanas, ou alors on ne pense à rien car on n’est coutumier ni du fait, ni de la personne. Ou alors on pense à d’autres trucs beaucoup plus pointus parce qu’on ne nous la fait pas à nous, on s’y connait.
Les trois options étant envisageables, permettez-moi de vous présenter les nanas.
Au début du délire, NSP a créé de grandes formes de femmes, en laine, en papier mâché, grandeur nature, c’est-à-dire de la grandeur d’une femme. Puis on est passé sur du plastique, du polyester, et autres matériaux de type dur.
Je vous mets des photos car niveau description ça va bien 5 minutes. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles ce site deviendrait difficilement un podcast, chépa c’que vous en pensez.

NSP, Gwendolyn, 1966-1990

NSP, Les trois grâces, 1994

NSP, Nana Boule, 1967

NSP, Nana danseuse noire, 1968
En 1963, elle crée une série protestataire sur le rôle des femmes dans la société : on part sur de la mère qui bouffe son enfant, de la sorcière, de la prostituée, des mariées en mode fantôme.

NSP, La mariée, Eva Maria, 1963
En 1966, il y a aussi eu l’exposition d’une mega Nana au Moderna Museet de Stockholm :

NSP, She, A Cathedral, 1966

Dessins préparatoires.
En 1967, NSP commence à bosser sur de la résine polyester, un truc mou, que tu peux former comme tu veux, mais qui devient solide et résistant à l’eau. Tu peux le foutre dehors, ça bouge pas. Un peu comme une cabane à oiseaux, sauf qu’il ne s’agit pas de ça. Bon, le seul souci c’est que derrière tu te tapes des problèmes respiratoires à haute dose, car c’est pas de la résine de pin bio des Landes ce merdier, ça te fracasse les poumons en deux temps trois mouvements, si je puis m’exprimer ainsi.
A partir de cette période, on lui reproche de faire un peu trop dans le commercial. Bon, c’est vrai qu’elle va quand même créer des fringues, des bijoux, des parfums…autour du thème de la nana. On est sur du produit dérivé. Très clairement.
Jean Tinguely et NSP se marient en 1971 afin de divorcer deux ans plus tard. Ils resteront en bon terme jusqu’à la mort de Jean en 1991. Ce qui est déjà pas mal.
Le mariage a eu lieu pour des raisons pragmatiques : payer moins d’impôts, NSP va pouvoir bénéficier de la nationalité suisse, et si l’un des deux décède, l’autre récupérera les droits sur ses oeuvres.
Au-delà du côté créatif, NSP dénonce sec, que ce soit la guerre d’Algérie avec sa série de Tirs, le statut des femmes, avec ses nanas, ayant souvent la peau noire, ou encore la prévention contre le SIDA, et même, à la fin de sa vie, l’administration Bush aux USA.

→ Le Jardin des Tarots (1974-2002) :
NSP a aussi créé le Jardin des Tarots, un immense jardin en Toscane, en Italie, criblé de sculptures géantes créées principalement par elle :



Sans transition
En 1974, NSP est salement malade, ses poumons sont en vrac.
De manière logique, elle part à St Moritz, en Suisse car l’air y est pur (je confirme).
En 1991, son ex mari Jean Tinguely décède à Bern, en Suisse. Ça va lui foutre un coup sur la carafe comme qui dirait.
NSP a toutes les maladies du monde, peut-être parce qu’elle a été exposée pendant une grande partie de sa vie à des substances hautement toxiques. Sûrement. Elle décédera en 2002.
Vous avez dû vous en rendre compte, NSP a été très productive, on pourrait en parler pendant des heures, mais y’en a qui bossent, donc je vais vous laisser sur des photos de ses oeuvres en plein air, car c’est à ça qu’elles sont destinées à l’origine :

Nana au Moderna Museet

Nana à Hanovre, en Allemagne

Nana sur un dauphin, 1998

Le Grand Oiseau de Feu sur l’Arche, 1991

Fontaine de Château-Chinon
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